Bernard Tribondeau



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Du lait et du pineau

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Entre la presqu’île de Talmont et le village de Meschers s’étend le marais. D’un côté de la route, longue ligne droite qui prend le vent de face lors des marées, la baie avec l’embouchure de la Gironde en point de mire, couleur caramel à mer haute, brun vaseux aux basses eaux.
De l’autre côté, le marais. Ou plutôt de vastes prairies tantôt laissées en jachère, tantôt cultivées de céréales. Lors de ces étés où les blés occupent le terrain, il règne début juillet cette odeur des épis coupés, chauffés par le soleil, qui attendent d’être ramassés en gros rouleaux balisant le paysage. Cette odeur, celle du pain en train de cuire, c’est la première odeur des vacances. Aujourd’hui encore au temps des moissons, où que je sois, j’ai cette image du marais chauffé à blanc en tête.
Le blé coupé nous accompagne dès le premier soir de villégiature. Il faut aller chercher le lait à «la Cabane», une ferme située à quelques kilomètres du village, exploitée par des amis de la famille. Des métayers trimant dur, plein de bon sens charentais, qui ne crurent jamais que l’homme avait marché sur la Lune.
Nous nous rendons à la Cabane en vélo, première mise en jambes pour de futures escapades. Au bout d’un chemin terreux, la vieille ferme nous accueille. Dix neuf heures, c’est l’heure de la traite. On remplit nos deux bouteilles de lait chaud, mon père discute un peu avec les métayers, nous admirons les vaches au repos dans l’étable. Une caresse au chien des lieux, et nous repartons vers Talmont avec le précieux breuvage, dont une partie finira dans une assiette, soigneusement remisée dans le placard, afin de faire du lait caillé, fromage rustique dont raffole mon paternel.

Certains soirs, comme chaque soir auparavant lorsque nous étions petits, le lait vient à nous. La grosse camionnette noire de la ferme stationne à l’entrée du bourg. Dans l’abri des bus de la Compagnie d’Aunis et Saintonge, sur les quelques bancs alentours, vieilles et vieux du village attendent la livraison, bouteilles à la main. Ca papote et ça jacasse, patois saintongeais, tabliers aux couleurs passées, robes noires élimées. La fille des métayers de la Cabane sert tout ce beau monde, entourée de ses bidons d’aluminium scintillants de blanc laiteux.

Le second rituel à accomplir au plus vite après notre arrivée est de rendre visite à des amis de longue date de la famille, les V… Ils demeurent au Caillaud, petit bourg jouxtant Talmont, perché sur une belle falaise ornée de carrelets de pêcheurs.
Le rendez-vous a toujours lieu à midi, à l’heure de l’apéritif. Réunis autour de la grande table - toile cirée collante, verres Duralex patinés - le maître de maison débouche une bouteille de pineau des Charentes de son cru. N…, grand bonhomme à la trogne burinée, un éternel sourire plissant ses yeux, les bras brûlés par le soleil, impeccable dans son costume paysan et sa chemise blanche, le béret vissé éternellement sur le crâne.

A la discussion, qui porte inévitablement sur les événements, petits et grands, de l’année passée, se mêle parfois son gendre, personnage dont le physique me fascine. Homme charmant à la conversation limitée, il souffre d’un rhinophyma, son nez boursouflé et lie de vin captant toute mon attention. Au point de se demander si son appendice ne va pas finir par lui éclater à la figure…
On ne quitte la table qu’une fois la bouteille de pineau terminée, reprenant nos bicyclettes pour retourner cahin-caha déjeuner à la maison. Les vacances peuvent enfin commencer.

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August 1966
July 1966
July 1965
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