A la Porte d'Apollon

Une chronique grecque, 1980-2015

Desenchante35



Athènes mutagène


L'avion d'Olympic Airways rase les toits plats de la ville blanche, immense, les panneaux solaires brillent dans la brume matinale. A la sortie du vieil aéroport d'Hellinikon, qui va bientôt disparaître, je salue la grosse mappemonde Olympic, avant de voir défiler, le long du bord de mer, les innombrables magasins de luminaires. Direction l'hôtel Erechteion, dans Thissio, au pied de l'Acropole. Hôtel banal, il a pour lui ses prix modiques, sa vue imprenable sur le Parthénon, ses petits déjeuners indigents et Apollon, le chat maître de maison. L'Erechteion, c'est mon point de chute obligé à Athènes.

Généralement, mes premiers pas me mènent à la colline de Philopappos, de là-haut, on embrasse toute la cité, jusqu'au Pirée, jusqu'à la mer. Dans le temps, c'était le lieu idéal pour observer le nephos, le brouillard jaune de la pollution athénienne.
En ces années pré-olympiques, cette entrée en matière est l'occasion de pressentir les changements qui s'annoncent. Sur Apostolou Pavlou, les ouvriers albanais s'affairent à rendre l'avenue piétonne. Il n'y a pas si longtemps encore, la circulation obligeait le serveur du Londos Café – qui propose les meilleurs cafés frappés de la capitale – à déployer des trésors d'ingéniosité pour traverser la rue sain et sauf et servir les clients attablés à la terrasse en face. Partout, la ville en travaux, dans un accès de pudeur, se drape de bâches. Les derniers bars à prostituées de Mitropoleos, cachés dans les recoins ferment leurs portes. Un gang de chats borgnes et pouilleux défend vaille que vaille son territoire le long de la voie ferrée, à Monastiraki, mais pour combien de temps ?

Au Jardin National, les grands palmiers regardent disparaître petit à petit les pensionnaires du zoo. Les petits métiers aussi s'effacent devant la marche forcée vers la modernisation, tels les cireurs de chaussures ou les vendeurs de tickets de loto. A Gazi, à Psiri, à Thissio, les bars de nuit poussent comme des champignons. Athènes se refait une jeunesse, Athènes s'amuse à crédit.


Dans le ventre


Dans Psiri, en cette fin de siècle athénien, une taverne propose uniquement aux convives des « μπριζόλες », les côtes de porc frites. Quand on en commande une assiette, on vous apporte 5 ou 6 côtelettes, accompagnées de frites gargantuesques. Il est 15 heures, les Athéniens sont en train de déjeuner. Et ont les yeux plus gros que le ventre, comme toujours.

Plus tôt, sur Athinas, dans les Halles centrales, au milieu du brouhaha vantant la marchandise, de chics athéniennes et de vieux messieurs ont négocié poulpes et dorades de la Mer Egée, inlassablement arrosés par les poissonniers précautionneux. Ou encore payé en drachmes sonnantes et trébuchantes des abats blanchis à l'eau de Javel. On a siroté un ouzo, grignoté quelques mezzés dans les petits bars ouverts à même l'allée qui relie les deux bâtiments, la halle aux poissons et celle de la viande.

Maintenant, il reste l'odeur fade qui prend à la gorge, il reste les relents de marée. Des monticules d'os et de déchets s'entassent aux carrefours des allées. Les petites ampoules suspendues à leurs fils brillent dans le silence, seulement troublé par le chuintement des jets d'eau des équipes de nettoyage.

Il est 15 heures, sur Athinas, les Halles viennent de fermer. Et les Grecs sont partis déjeuner.


L'été d'après


Je suis retourné en Grèce l'été d'après les Jeux. Il fait grand beau sur les îles. La vie s'écoule, simple et paisible. Une vraie carte postale grecque.

Manolis a grandi, tout lui semble promis. A Athènes, le tumulte a cessé, mais les prix ont grimpé. Il reste quelques T.shirts à l'effigie des Jeux dans les boutiques à touristes. Je prends le nouveau tramway, direction Glifada, pour jeter un œil aux sites sportifs. L'herbe pousse déjà entre les voies. Les ronces envahissent les allées de stades. L'ancien aéroport tombe en ruines.